Le héros, statufié de boue, s'est couché hier matin (30 avril 2025) à l'âge de quatre-vingt-douze ans. C'est ainsi, c'est la vie et lorsqu'elle fut aussi belle que la sienne, la mort, maraudeuse et morose, s'éclaire d'un joli rayon de souvenirs. Les miens sont radieux, heureux, éternels ! Dans l'imaginaire d'un enfant découvrant le rugby comme un conquistador aborde une terre inconnue, les joueurs prenaient une place démesurée. De géants. Le mien, enfin celui-là d'abord, car il y eut ensuite Jacques Gasc et Francis Bellot parmi d'autres, ne franchissait pas sous la toise, le mètre quatre-vingt-quatre. Une taille déjà, certes, mais pour ceux qui connaissent les subtilités du jeu, il s'agissait - même à l'époque - d'un deuxième ligne de poche. Face aux Cester, Plantefol et Fite, il n'y paraissait pas. Nombre d'entre-eux en rigolaient immanquablement. Jusqu'au jour où, devant entrer les premiers sur l'herbe souvent grasse du stade de Crins, ils devaient se confronter à ce petit gabarit au grand coeur. La tignasse et deux belles oreilles enchâssées dans un casque formé sur mesure de boudins de cuir marron, c'est un peu comme s'il avait mis en pratique le premier, la formule qui fit ensuite Florès : il mettait la tête là où d'autres n'auraient pas mis les pieds ! Et ceux qui en avaient ri, s'en repentaient sans doute lorsque, plongeant dans un chaudron hostile et bouillonnant de crampons de "trente", il récupérait d'improbables ballons, dont les Pauthe, Andrieu, Rivals, Saby et compagnie se nourrissaient. Parfois c'est les bras ballants retombant d'une civière qu'il quittait le terrain ou alors se traînant entre deux porteurs de l'équipe, au mieux une arcade pissant le sang du pays, de la victoire ou au pire... de l'honneur ! J'avais quoi, sept-huit ans ? C'était lui qui nous gardait à la cantine de Victor-Hugo, avec son compère de la troisième-ligne, Andoque. L'ayant vu se sacrifier, se scarifier presque, le dimanche après-midi, je restais suffoqué par ce visage marqué de balafres profondes, de bleus intenses virant en s'élargissant au jaune et au violet. André Herrero, gratifié de l'un de ces patronymes qui font les rimes riches de ce sport homérique, me demanda un jour si j'étais de la famille à ce Larrue-là. Devant concéder qu'il n'en était rien, mais ajoutant bien vite que c'était tout comme, il m'en fit l'éloge pour son courage, sa force, sa constance : " Lorsqu'elles venaient à Toulon - soulignait "le grand" avec cette voix grave mais chaleureuse -, les équipes qui nous faisaient des misères chez elles, se couchaient lamentablement à Mayol et prenaient trente points. Lui, quand il venait avec Graulhet, c'était encore pour se battre et tenter de gagner." N'ayant jamais ressenti cette fierté qui selon moi aveuge les consciences, je reconnais toutefois que cela m'avait procuré un vif plaisir. Un autre Toulonnais et non des moindres, le talonneur Nono Vadella témoignait aussi : " Lorsqu'on le voyait en touche, c'était un cauchemar. Malgré sa taille, il nous piquait un maximum de gonfles, avec ce bras furtif qui sortait dont je ne sais où..." André n'était pas seulement considéré par les uns, vénérés par les autres, sur la seule foi de ses exploits sans cesse renouvelés et qui lui valurent de disputer deux demi-finales de première Division entre 1957 et 1969, il fut loué pour ses grandes capacités professionnelles par lesquelles Graulhet devint l'une des petites villes fleuries maintes fois primées. Il le fut aussi en tant que bénévole, cheville ouvrière - ah ! que j'aime cette expression - du SCG et notamment en cuisine, où il servit avec plusieurs bénévoles et supporter jusqu'à l'époque récente de Bernard Rivière, des milliers de repas. André Larrue n'était pas de Graulhet, il était Graulhet ! Je veux saluer Benoît son fils que j'ai eu le plaisir de connaître sur le tard. Et je te le dis avec beaucoup d'admiration et de tendresse, mon esprit te rejoindra souvent, mon bon André, le dimanche à Crins, vers 15 heures... |
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