Du blues au flouze

Nous voici dans les années 80, peut-être le début de 90 je ne sais plus mais cela a si peu d’importance, c’était en tout cas avant le cataclysme qui engloutit notre rugby, avant que - la nature ayant horreur du vide – en surgisse un autre, étrange et même carrément étranger. Il me fallut faire semblant d’avaler le Stade français et ses mœurs singulières, semblant de voir débarquer les premières colonnes de panzers sud – africain, les sympathiques fantassins géorgiens et la cavalerie néo – zélandaise, mais enfin je me suis maintes fois étouffé ! Moi qui déteste l’argent, enfin celui qui fait de l’homme le plus méprisable des animaux, il me fallut pourtant me la fermer pour préserver mon salaire de journaliste à Var Matin, jusqu’au jour où Mourad Boudjellal entra en scène. Personnage hors norme. Hors gabarit...
Je pouvais encore supporter que le Dany de la Pivotte me traite d’enculé - puisque c'était sans douleur ! - , mais il n’était pas supportable qu’un homme d’affaire fraîchement converti au rugby, m’agite une liasse de billets sous le nez... 
Je suis allergique ! 
Et c’est donc là que oui, j’ai pris mes cliques et surtout un belle claque ; que j’ai déserté tout ce que j’avais tant aimé, sublimé. Et pensais intangible, donc définitif !
Il en est un qui ne se posa pas tant de questions. Denis Tillinac, auteur de renom, éditeur de prestige dont les déambulations rugbystiques l’avait conduit dans les plus beaux espaces poétiques, oniriques même, allait déverser un flot de nostalgie prenant sa source sur une montagne de souvenirs. J’avais beaucoup aimé ses balades amoureuses sur les rives océannes et ses compromissions canailles dans les bas – fonds de Chicago in Toulon. Sa jeunesse en Corrèze qui ne manquait pas de courage, ses tribulations dans les nuits de Paname jamais dépourvues non plus de panache.
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Rugby blues.
Une longue mélopée saxophonique
faite de plaintes, pleine de feintes
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Ce bel auteur protée, capable d’emporter le populaire et l’académie, avait signé son opus : Rugby blues. C’était mieux qu’une rythmique d’harmonie basque, une longue mélopée saxophonique faite de plaintes, pleine de feintes. En cela, nos parcours convergeaient. Mon cours sera plus torrentiel et tortueux, torturant aussi, mais enfin sorti de l’immédiateté et de la l’acidité, je me suis autorisé cette audace  paronyme : Rugby flouze. Oui je sais, il rime bien, mais il est tellement plus direct. Lorsque je peux éviter les litotes, je ne m’en prive point.
Et si vous voulez, j’aurais pu me dispenser d’écrire ce pamphlet qui débute comme un ode à mon enfance et mes croyances aussi profondes que mes racines rugbystiques et s’achève dans un grand coup de tonnerre qui s’apparente fort à de la colère, mais si j’ai un peu pensé à tous les anciens qui aimeraient relire ces passages de la mythologie ovale, je l’ai avant tout évacué pour ne pas finir ma vie dessus, comme un bout de quelque chose d'amer en travers de la gorge.
Il m’était apparu évident que Denis Tillinac pourrait me signer une jolie préface. Tu parles ! je n'attendais ça ni comme une consécration, ni comme une reconnaissance de filiation, peut – être juste une accolade de fraternité ovale. Lorsque je lui ai envoyé le manuscrit à la fin du printemps 2020, Tillinac m’a remercié et promis qu’il s’y pencherait. Alors j’étais confiant. Jusqu’au mois de septembre suivant où j’appris son décès. Du coup lorsque je sollicitai Christian Montaignac, par l’entremise de Fred, l’ami commun, j’éprouvai subitement l’angoisse de provoquer une hécatombe. Mais grâce à Brennus, l’ancienne plume de l’Équipe résiste et il ne me reste plus qu’à regretter qu’il ne sache pas lire sur un ordinateur.
Mais enfin, la préface tient quand même la route. Elle dit tout . Donne envie de lire la suite et n’est – ce pas, au-delà de l’estampille, tout ce qui compte ?


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Daniel Sannou

Un grand cœur ne bat plus

 
Daniel, sa barbe et son bandeau. Dix ans en "première" du SCG, son seul club

J’arrivai, tout heureux à Graulhet avec quelques bouquins que mon éditeur m’a gentiment attribué. Le pile serait vite épuisée, peu importe on en commanderait. Je fis étape chez l’ami Puginier afin qu’il offre l’un des tous premiers exemplaires à son, notre président, Guy, le vrai Laporte à mes yeux, le seul qui compte. Puis j’avais fait une halte non loin de là chez André Larrue. De famille sans doute lointaine et proche, très proche de cœur. Je vous raconterai…
J’en avais un aussi pour mon collègue de la Dépêche, ancien copain d’école, superbe pilier droit du SCG, Gérard Durand et puis François Mazens qui tient le blog si important à mes yeux : Mémoires de Graulhet. Tenez c’est pas compliqué, cette semaine il y avait un dossier sur Cécile Mauriés. Voilà un sainte femme et sage avec ça, puisque c’est elle qui me donna le jour… On ne dira pas lequel !!!
Et voilà, tout heureux le Jaco. De Graulhet. A Graulhet. Mais paf ! C’est François qui m’annonce que Daniel Sannou est mort ! Je ne suis pas tombé des nues, car j’avais appris peu avant qu’il avait fait un infarctus en début d’année et qu’il ne s’en remettait pas bien.
C’était un deuxième ligne aussi. Belle carcasse. Pas le même géant que ceux de maintenant élevés aux farines animales, mais enfin du gaillard. La preuve il avait succédé ou côtoyé les Revailler, Laroussinié, Sauce et même Pelous, sans dépareiller. Il fut titulaire de première division de longues années et dut passer par le Groupe B pour être Champion de France.
Puis Daniel enfila sans tarder le survêtement d’entraîneur, mais aussi de manager, de dirigeant, de papa-poule de l’école de rugby, etc. Une vocation mise sans relâche au service du collectif. Ce que l’on aime qualifier dans cette cité de cuir et de labeur, une cheville ouvrière. Je l’avais connu un peu malheureux ces dernières années d’être sorti du jeu. Mai quelles qu’en soient les raisons, je savais qu’il y rentrerait sans tarder…
Nous en parlions, chaque fois que nous nous voyions, avec Rolland Allegro, l’un de ses amis du Var, fidèle aux souvenirs d’échanges fraternels entre Carqueiranne et Graulhet. Il en noua bien d’autres et partout ailleurs, mais il est vrai qu’entre Rolland et Daniel, c’était quelque chose !
Avec son épouse Florence – la fille de Francis Piquemil, l’un des grands dirigeants de la fin du siècle dernier – il tenait un peu à bout de bras le commerce exsangue du centre-ville de Graulhet. Une ville méconnaissable depuis que l’industrie du cuir s’est effondrée. Mais lui, eux, étaient là. Une superbe et dynamique maison de la presse. Et c’est justement là que je me rendais avec joie, pour présenter ce livre, Rugby flouze, qui fera date, puisqu’il est le seul qui ose s’opposer à la pensée unique et cette démolition en règle des valeurs de notre jeu. J’en concevais avec bonheur quelques futures séquences de dédicaces où nous aurions retrouvé dans un sympathique brouhaha et quelques confusions de dates et de postes, tout ce qui avait fait de Graulhet un club à part et incontestablement exceptionnel. J’avais prévu de faire avec lui une vidéo, un joli texte aussi…
Merde ! Je sais pas vous, mais il y a quelques circonstances où l’on ne trouve plus de mots. Enfin si. Tellement superflus ou insuffisants. Merde, c’est sûr, ça soulage...
Florence je ne représente que moi – et les miens – mais ce que je te transmets du plus profond de moi est si fort, si sincère !

Daniel est le deuxième joueur assis en partant de la gauche au deuxième rang. Le Sporting venait de battre Rumilly en finale de première Division B


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